Ce dernier article de notre série consacrée aux mudra, synthétise brièvement différents moyens d’intégrer ces gestes et attitudes dans la pratique du Yoga. Ils sont en effet très souvent combinés à d’autres techniques et permettent de les renforcer ou d’en accentuer le caractère interne et subtil.
Nous avons vu dans les précédents articles que les mudra permettaient à la fois de configurer des circuits énergétiques et d’évoquer par résonance symbolique des attitudes de conscience.
L’utilisation des mudra pour renforcer un exercice est une démarche éminemment tantrique. Le procédé particulier des techniques tantriques est d’utiliser les sens et le mental comme outils pour modifier les états de conscience. Il s’agit donc d’outils de travail, utilisés en conscience et non d’obstacles à éviter : intérioriser les sens plutôt que s’en couper, occuper le mental plutôt que le faire taire.
Les mudra, tout comme les asana, les pranayama, les mantra, les yantra, les visualisations font partie de ce catalogue de techniques que propose le Hatha Yoga pour mettre en œuvre ce procédé tantrique. Le yogi peut les superposer à loisir – par exemple sous la forme de kriya (au sens du Kriya Yoga présenté dans un autre article), de manière à utiliser consciemment les sens et le mental et conserver la continuité de sa pratique dans un état de conscience de plus en plus subtil. L’objectif est bien au final de transmuter les sens, le mental, les émotions, les éléments, l’égo, l’individualité pour tendre à l’union avec la conscience universelle et l’état de Yoga.
Table des matières
Mudra et asana
Les mudra peuvent être utilisés lors de la pratique des asana pour la rendre plus complète : l’alignement du mental est ajouté à celui des corps physique et énergétique. Ainsi les postures sont renforcées par résonance symbolique et l’activation de circuits énergétiques internes.
Cela peut par exemple être un Mana mudra (position du regard ou de la langue) pour focaliser le mental, le souffle et la conscience. Ou encore la mise en place d’un Bandha mudra – une fois les différents corps du pratiquant nettoyés et les techniques maîtrisées – pour entrainer le corps à de nouveaux circuits d’énergie.
Les Kaya mudra sont de bons exemples de pratiques plus complètes associant postures, mouvements, mudra et pratiques de souffle. Comme déjà exposé dans le premier article de cette série, toute posture peut potentiellement être transformée en Kaya mudra. Elle prend alors une dimension plus énergétique et spirituelle. L’alignement juste du corps physique permet aux souffles vitaux de mieux circuler et, en même temps, les circuits d’énergie mis en place grâce notamment aux mudra agissent en retour sur le corps physique.
Le pratiquant peut donc, grâce aux mudra, donner de multiples couleurs et saveurs à une même posture physique ou à un enchaînement de postures pour les rendre plus intériorisées, profondes et puissantes.
Prenons quelques exemples d’utilisation de Hasta mudra en association avec des asana pour illustrer ce propos.
La dynamique de l’Arbre Vriksasana peut être ajustée et renforcée de manières différentes en fonction de mudra pris par les mains :
- la prise du mudra du Lotus au niveau du cœur renforce la dimension symbolique de l’arbre ou du Lotus qui s’élève depuis les profondeurs de le terre vers la lumière et ouvre sa fleur à la conscience ;
- dans la même posture et toujours au niveau du cœur, Anjali mudra permet d’équilibrer les deux pôles et circuits énergétiques (solaire et lunaire) du corps ainsi que les deux hémisphères du cerveau, condition préalable à l’ouverture du canal central et à la montée de la sève ou Kundalini ;
- la connexion à cette force ascensionnelle (souffle Udana vayu) peut être renforcée par l’utilisation de Akasha mudra ou Garuda mudra ;
- enfin, des mudra liés à l’énergie de l’eau comme Jala mudra ou au souffle Vyana vayu comme Anushasana mudra aident à faire circuler l’énergie dans le corps et facilite son équilibre.
D’une manière générale on peut utiliser les qualités en lien avec les différents mudra pour les infuser ou les distiller dans les postures. Pour les qualités liées aux éléments, par exemple :
- comme vu précédemment, connexion à l’Eau/Vyana pour la circulation et la distribution (exemple : diffuser l’effort dans la posture du bateau Navasana) et à l’Espace/Udana pour la force ascensionnelle (exemple : équilibres sur les pointes des pieds) ;
- installer une dynamique Air/Prana – Terre/Apana entre les deux bras pour stabiliser la posture et accentuer l’axe énergétique du membre supérieur (exemples : Triangle Trikonasana ou la posture Hanumanasana) ;
- renforcer l’ancrage au sol via un mudra lié à la Terre comme Prithivi mudra (exemple : postures assises comme celle du Héro Virasana où les fessiers sont posées entre les chevilles) ;
- concentrer l’énergie dans le région de l’abdomen pour donner de la force à la tenue de la posture avec Surya mudra ou Kubera mudra (exemples : dans le bateau Navasana ou Cakravakasana).
Les possibilités sont quasiment infinies tant il existe d’asana, de mudra et de combinaisons possibles.
Mudra et pranayama
Les mains et les poumons sont en correspondance via des arcs réflexes et par des variation de positions des doigts, les mudra agissent sur le souffle. Ainsi par exemple les gestes de la famille des Hasta mudra (où les mêmes doigts des deux mains sont joints) peuvent être utilisés pour bien répartir de souffle dans les différentes zones des poumons et de la colonne vertébrale. La séquence pouvant se terminer par une respiration complète avec Hakini mudra.
Nous avons évoqué dans le premier article de cette série l’enchaînement Prana Shakti Mudra qui de manière similaire permet d’invoquer et de distribuer le souffle dans l’ensemble du corps et de préparer les exercices de pranayama.
Les exercices de pranayama à proprement parler peuvent être renforcés par des mudra ou les intègrent d’emblée pour diriger l’énergie et la conscience via des positions des yeux ou de la langue.
Les phases de rétention de souffle sont souvent accompagnées de Bandha mudra pour activer des liaisons subtiles et canaliser l’action de l’énergie aux niveau des granthi.
Nous avons également vu dans le précédent article de cette série que certains Mana mudra et Kaya mudra impliquent le contrôle du souffle dans leurs techniques.
Mudra et mantra
L’ajout de Hasta mudra à la pratique de mantra, que cela soit sous forme de pratique personnelle (japa) ou en groupe (kirtan), permet d’en renforcer l’effet en intériorisant une attitude et une intention spécifiques. Le geste extériorisé fait alors office de lien ou de portail entre les mondes intérieur et extérieur.
Il peut s’agir d’un mudra ou d’un enchainement de mudra des mains, comme nous l’avons vu par exemple dans le premier article de cette série au sujet de la Gayatri mantra.
L’image ci-dessus, issue du livre « Mudras for Healing and Transformation » de Jospeh et Lilian Le Page, illustre un enchaînement de Hasta mudra associé au Pavamana mantra.
Mudra et méditation
Comme nous l’avons déjà évoqué en début d’article, l’objectif des techniques du Hatha Yoga est de préparer le pratiquant à des états de conscience plus subtils et plus élevés. Les mudra sont donc des outils pour s’approcher de l’état de Samadhi de l’Ashtanga Yoga de Patanjali.
Nous avons vu comment les mudra pouvaient être utilisés pour internaliser les sens et se connecter aux principes subtils (Pratyahara) et pour concentrer l’activité mentale (Dharana).
Ainsi de nombreux Hasta mudra sont utilisés pour instaurer l’intériorité et l’état méditatif, comme par exemple Jnana mudra ou Chin mudra.
La vidéo ci-dessous donne un exemple d’exercice de préparation à la méditation, proposé par Locana Sansregret, utilisant les mudra et le souffle.
Les gestes et attitudes sont comme des ancres ou des balises qui permettent au pratiquant de conserver son état intérieur sur la durée, de le laisser s’installer jusqu’à atteindre l’état de méditation sans objet et d’arrêt du mental (Dhyana), voire de fusion avec la conscience cosmique (Samadhi).
Pour aller plus loin
Ainsi se termine notre exploration de l’univers des mudra. A vous de continuer votre voyage si vous ressentez l’appel. Rien ne vaut la pratique et le ressenti personnel dans ce domaine. Pour ce faire nous vous recommandons de vous faire accompagner par un enseignant expérimenté, surtout en ce qui concerne les mudra internes dont la puissance d’action doit être préparée et encadrée.
En ce qui concerne les Hasta mudra, dont la pratique peut être abordée de manière beaucoup plus autonome, les cartes YogArkana n’en présentent qu’un nombre limité. Pour découvrir et tester d’autres mudra et éventuellement les intégrer dans votre pratique nous vous conseillons les ouvrages suivants.
- « Mudra, le Yoga des doigts » de Juliette Dumas et Locana Sansregret : livre clair et didactique pour intégrer 100 mudra dans la vie quotidienne ;
- « Les Mudras, Le Yoga au bout des doigts » de Gertrud Hirschi : présentation synthétique de 52 mudra accompagnés de propositions de visualisations et d’affirmations positives (sankalpa) ;
- « La science sacrée des Mudra » d’Indu Arora : ouvrage présentant 138 mudra accompagnés de magnifiques photos ;
- « Mudras for healing and transformation » de Joseph et Lilian Le Page : ouvra en anglais très complet détaillant 108 mudra associés à des pratiques méditatives et en les plaçant également dans un cadre thérapeutique.
Il existe également des applications mobiles proposant d’accompagner la pratique quotidienne des Hasta mudra. Citons ici à titre d’exemple l’application Daily Mudras qui décrit 50 mudra principaux ainsi que leur mise en pratique. Elle propose également de planifier des mini sessions et de se faire notifier par l’application.