Depuis quelques années, le mot vinyasa, utilisé en association avec celui de yoga ou même parfois utilisé seul, est dans toutes les bouches et dans tous les magazines spécialisés. Il est également dans le programme de nombreux Yoga Studios. En revanche, il est peu – voire pas du tout – utilisé dans les ouvrages traditionnels de référence tels que les Yoga Sutras ou encore le Hatha Yoga Pradipika.
Il s’agit pourtant bien d’un mot sanskrit. Mais cette langue ancienne joue sur les associations de syllabes ou mots racines et les sens multiples qu’on peut alors leur prêter (cela rappelle même parfois le procédé ésotérique de la langue des oiseaux). Il faut donc rester humble et prudent lorsqu’on cherche à appréhender puis traduire un mot tel que vinyasa…
Cependant le terme est généralement décomposé de la sorte : vi – nyasa. Où le préfixe intensifiant vi- suggère quelque chose de spécifique, d’ordonné et le mot nyasa l’action de placer. Cela évoque au final le fait de placer, d’arranger, de concevoir d’une certaine manière.
A ce stade , hormis la notion vague et générique d’arrangement, nous ne sommes pas très avancés dans notre compréhension. Il convient peut-être de l’associer au mot Yoga lui-même. Car l’on trouve beaucoup plus facilement des définitions du terme Vinyasa Yoga.
Vinyasa Yoga et Yoga moderne, des concepts américains ?
En effet, si ce n’est sa consonance sanskrite, on peut vraiment croire que le mot est d’origine américaine ! Il suffit de taper le mot dans un moteur de recherche Internet pour s’en convaincre. Il est très rapidement associé aux notions de Yoga dynamique et de flux entre les postures. Et si l’on remonte un peu ce fil d’Ariane ou cet angle de vue sur le mot vinyasa on atterrit très vite aux États-Unis… Aujourd’hui, de nombreux professeurs et studios de Yoga vinyasa revendiquent le plus souvent s’être formés outre-Atlantique et pas en Inde !
Comme déjà écrit dans notre précédente série d’éléments historiques du Yoga, la discipline multimillénaire et de nombreuses fois hybridée qu’est le Yoga, s’est transformée et continue à se transformer au contact de l’Occident, et notamment des États-Unis.
Du coup, aujourd’hui en occident la nébuleuse du Yoga est énorme et peut parfois donner le vertige. En effet, il est difficile pour une néophyte de s’y retrouver dans cette jungle de styles, de livres, de sites Internet, de studios de Yoga… L’esprit d’analyse si cher à l’Occident, a induit la dissection et la décomposition systématique de cette pratique holistique qu’est le Yoga, qui s’accompagne cependant d’un réel effort de synthèse.
Par exemple, la typologie illustrée sur le schéma précédent fait apparaître comme unique point commun entre Hatha Yoga et Vinyasa Yoga le critère « concentration sur la respiration », et ce, parmi 16 critères différents !
Ainsi, certains présentent le vinyasa comme un style de yoga, toujours basé sur des postures mais plus dynamique, plus fluide. Et vont même jusqu’à l’opposer au Hatha Yoga considéré comme statique et traditionnel, le vinyasa étant alors présenté comme moderne.
Ce yoga, dit moderne, est désacralisé, plutôt axé sur la pratique physique voire parfois anatomique des asana. Les aspects spirituels de la discipline multimillénaire y sont généralement transmutés en mode ou style de vie incluant tout de même la conscience (à rapprocher des yama et niyama de Patanjali).
Le terme vinyasa lui-même porte des définitions parfois différentes selon les styles, courants ou écoles qui le revendiquent. Elles partagent cependant le sens général de : séquencement de postures associé avec (voire cadencé par) la respiration.
LE vinyasa, DES vinyasa ou EN vinyasa ?
Traversons donc l’océan pour investiguer de plus près toute cette nébuleuse autour du Vinyasa Yoga, Yoga Flow, Power Yoga et autres Jivamukti Yoga…
Pour mieux cerner l’utilisation outre-Atlantique du terme basons nous sur la définition qu’en font certaines des écoles qui s’en revendiquent. Ces quelques exemples sont loin d’être exhaustifs, tant le Vinyasa Yoga regroupe des pratiques variées.
Ainsi, le Power Yoga, très centré sur le corps physique, définit clairement le vinyasa comme le mouvement entre les postures et précise même que c’est le temps et le focus le plus important de la séquence, associés à l’aspect cardiovasculaire de ce style de pratique.
D’autre styles utilisent le terme pour décrire plus globalement une méthode de se déplacer d’une posture à l’autre et parlent de flux (flow en anglais) pour insister sur la fluidité de ces mouvements d’enchaînement. Cela intègre parfois un mouvement de flottaison entre les postures avec des phases de décollage, de suspens puis d’atterrissage.
Certains utilisent le mot vinyasa pour décrire un enchaînement très spécifique de postures. Le vinyasa classique étant alors l’enchainement synchronisé avec la respiration des postures suivantes :
- chien tête en bas ;
- pince debout (ou bâton assis) ;
- une posture choisie ;
- bâton couché ;
- chien tête en haut ;
- chien tête en bas.
Pour le Jivamukti Yoga le mot vinyasa signifie le lien, le liant entre les postures au sein d’une séquence, créant ainsi un flux continu aligné sur la respiration. Cette attention portée à la respiration, implique donc également une intention et donc la conscience dans la pratique.
A ce titre, les fondateurs du style Jivamukti évoquent même le fait que vinyasa est comme la collier de conscience sur lequel le pratiquant enfile les perles que sont les postures, menant à une certaine forme de méditation en mouvement.
Shiva Rae intègre la dimension du souffle vital à travers le corps lors de la réalisation des mouvements gracieux sous forme de flux continu et, comme dans le style Jivamukti, ajoute de la musique pour renforcer l’expérience d’immersion dans la pratique. Sa pratique de Prana Vinyasa Flow se veut holistique et insiste sur le vinyasa comme mode de vie et outil de transformation.
On observe donc que le terme vinyasa peut être utilisé à un niveau physique dans le Power Yoga mais également comporter des aspects plus subtils comme l’intention voire le souffle vital (Prana). Doug Swenson, un des précurseurs du vinyasa aux États-Unis depuis les années 70, lui donne le sens d’avancer, placer de manière consciente, dans une approche holistique basée autour du concept de l’énergie vitale. De ce point de vue le vinyasa n’est pas proprement parler un système ou un style de yoga mais plutôt une manière de pratiquer le yoga, en liant les postures via une énergie consciente. Selon lui, cela peut se faire de deux manières non exclusives :
- énergie physique : transitions formelles entre les postures basée sur des mouvements spécifiques associés à la respiration et l’attention mentale ;
- énergie mentale : fusionner avec le flux d’énergie à travers la respiration et l’attention mentale pour créer une pratique fluide et en pleine conscience.
Ainsi, le vinyasa relie les postures mais aussi les pensées et l’énergie, créant une chaleur interne qui aide à répartir l’énergie vitale dans tout le corps tout en libérant (ou réinitialisant ou condensant) le champ d’énergie pour créer et déployer la posture suivante. L’objectif ultime pour Swenson est, en devenant un dans l’instant présent avec le flux d’énergie, de transformer la pratique en une méditation en mouvement.
A ce stade, j’espère que vous appréhendez un peu mieux ce que recouvre le terme vinyasa et les différents aspects physiques, énergétiques voire spirituels qu’il peut recouvrir. Mais ces pratiques sont-elles finalement une création purement occidentale au sein du Yoga moderne ou n’ont-elles tout de même pas une origine indienne ? Pour répondre à cette question et après avoir traversé l’Atlantique, remontons brièvement le temps pour étudier comment le vinyasa est arrivé en Occident.
Ashtanga Vinyasa Yoga
André van Lysebeth, est un yogi Belge qui a beaucoup participé à la découverte du Yoga en Europe et dans le monde à travers un démonstration historique d’asana à la télévision belge, la publication d’ouvrage traduits de plusieurs langues et celle d’une revue mensuelle – suite au conseil de son maître Swami Sivananda – pendant plus de 30 ans. Il effectue de nombreux voyages en Inde et rencontre de nombreux maîtres yogis. En 1964, il passe deux mois à Mysore avec un certain Pattabhi Jois, intéressé par son système d’Ashtanga Vinyasa Yoga. Il y fait référence dans un livre en publiant une photographie du maître ainsi que son adresse, ce qui donne à ce dernier une grande visibilité en Europe et lui amène ses premiers élèves étrangers.
Quelques années plus tard, en 1973, les premiers élèves américains découvrent le yoga proposé par Pattabhi Jois et retournent l’enseigner aux États-Unis puis invitent leur maître à venir sur le nouveau continent en 1975. Son fils, qui fait partie du voyage, décide de rester aux États-Unis pour y diffuser l’Ashtanga Vinyasa Yoga. Pattabhi Jois et son style de yoga acquièrent au fil du temps une renommée internationale.
Dans son système, Pattabhi Jois utilise le mot vinyasa pour décrire la série de mouvements réalisés entre les postures et insiste sur la respiration et l’augmentation de la température du corps et sa purification via la transpiration.
Pattabhi Jois meurt en 2009 à l’âge de 93 ans, après au fil du temps avoir formé et même certifié de nombreux professeurs et organisé et codifié son système de Yoga en six séries en ordre séquentiel.
La progression est individuelle dans le sens où chaque élève pratique tout ou partie d’une série en fonction de son niveau, l’enseignant accompagnant l’ensemble des élèves du cours de manière appropriée. Ce manière d’enseigner est baptisée le style Mysore.
Et c’est bien le succès important de ce système bien organisé qui donne, aux États-Unis, naissance à différentes variantes et adaptations qui se démarquent des séries formalisées de l’Ashtanga Vinyasa Yoga tout en gardant la notion de vinyasa telle que présentée plus haut. A ce titre on peut percevoir le style générique de Vinyasa Yoga comme un ensemble d’adaptations de l’Ashtanga Vinyasa Yoga, système très rigoureux et exigeant.
Nous avons donc finalement fini par trouver l’origine commune aux différents styles vinyasa. Mais d’où vient l’Ashtanga Vinyasa Yoga ? N’est-il pas lui-même une adaptation d’un système plus ancien ? Pour répondre à ces questions il nous faudra finalement retourner en Inde et découvrir un certain Shri Krishnamacharya, maître de Pattabhi Jois, et la notion de Vinyasa Krama. C’est l’objet du second article de cette série consacré au vinyasa.