Notre exploration du premier membre de l’Ashtanga Yoga de Patanjali nous amène désormais à Bramacharya qui est probablement un des Yama les plus complexes à appréhender.
Brahmacharya est souvent traduit par abstinence sexuelle et célibat. C’est une première définition qu’il ne faut pas prendre comme une injonction morale mais comme une indication sur la manière de gérer son énergie sexuelle. Une application rigoriste de ce principe consiste donc à s’abstenir de tout acte, parole ou pensée à connotation sexuelle. Cela permet de conserver son énergie pour la consacrer au travail spirituel.
Rappelons cependant que de très nombreux sages et yogi étaient mariés et avaient des enfants… Une manière classique de pratiquer Brahmacharya dans le monde temporel est une chasteté moins stricte et plus généralement une gestion saine de sa libido. La pratique sexuelle est pratiquée dans le respect de l’autre et dans le cadre social du couple.
Le travail sur l’énergie sexuelle peut également être réalisé dans le cadre du Tantra qui est souvent mal compris en Occident. Le Hatha Yoga comme le Tantra sont des voies de libération via la transformation. Le Tantra propose de travailler sur l’énergie la plus forte (et donc la plus attirante) dans le corps humain : l’énergie sexuelle. Mais il ne s’agit pas de donner libre cours à sa libido sous excuse de rites sacrés mais plutôt d’un réel travail de redirection et sublimation de l’énergie. Les Tantrikas font remonter leur énergie sexuelle des centres inférieurs vers les centres supérieurs de conscience. L’union tantrique est donc une pratique à but spirituel qui intègre des techniques avancées de yoga (asana préparatoires, pranayama et notamment rétention, mudra pelviens et bandha, circulation du souffle et de l’énergie dans les nadi…). Le Tantrika ne s’identifie pas avec sa nature sexuelle mais avec celle de l’Univers illimité. Il travaille à la montée de la Kundalini et se prépare à l’état supérieur d’énergie et de conscience qu’est Samadhi. Il sacralise et divinise son énergie sexuelle.
Le rapport à l’énergie sexuelle dépend de ses chakras et de son Guna prédominants : Tamas (inertie, activité sexuelle animale sans conscience), Rajas (activité sexuelle dynamique centrée sur la jouissance) ou Sattva (activité sexuelle plus subtile centrée sur l’amour voire sans aspect physique). Ainsi, inutile de pratiquer l’abstinence sexuelle si l’on est pas prêt, car si l’énergie n’est pas canalisée elle passe alors dans l’inconscient via le refoulement de frustrations et de sentiments de honte. Comme cette énergie est forte, cela peut faire beaucoup de dégâts. Inutile également de se lancer dans des pratique Tantriques dangereuses si on n’en a ni compris les objectifs ni maîtrisé les techniques.
Si l’on généralise le principe de gestion consciente de son énergie, Brahmacharya peut être étendu à la modération du plaisir des sens. Il s’agit alors de ne pas tomber dans l’excès, de nourriture, de drogues, du sommeil, du travail, ou encore d’exercices intenses… Il s’agit de se protéger ou de se déconditionner des addictions liées au plaisir des sens. En revanche il ne s’agit surtout pas de supprimer le plaisir et la jouissance mais plutôt de les dissocier de l’addiction névrotique. Savoir se dire « là cela suffit« , sans confondre l’état de plaisir avec le moyen qui a permis d’y accéder. Sans dépasser la limite qui fait sortir de cet état et génère le phénomène d’addiction. Le problème n’est pas avec le plaisir et la jouissance mais avec l’attachement et le désir de répéter l’expérience.
Les textes du Hatha Yoga semblent parfois concentrés sur l’abstinence sexuelle mais aujourd’hui ils parleraient probablement d’abstinence numérique par exemple. Ainsi des pratiques somme le jeûne, le silence ou la déconnexion de la technologie, qui permettent de se recentrer et de retrouver le discernement peuvent être considérées comme relevant de Brahmacharya.
Car la posture spirituelle qu’est Brahmacharya concerne la canalisation de son énergie pour se rapprocher d’un état d’harmonie avec la Réalité (celle de Satya), avec l’Univers, avec ce qui Est. En effet Brahmacharya peut également être traduit par « marcher avec ou s’établir dans le divin ». Il s’agit donc de se mettre en résonance avec l’Univers, en phase avec le principe de création et de se connecter au flux de la Vie. C’est un état de jouissance sacrée. Un état de plaisir simple comme celui de l’enfant pour qui toute expérience est merveilleuse, mystérieuse et source de joie.
Lorsque l’on parvient à rester dans cette pleine expérience sans tomber dans l’excès, on perçoit alors le Sacré et l’Amour universel en toute chose et en chacun. Cet état de plaisir simple et dans l’instant présent apporte alors beaucoup de vitalité, sans s’attacher à l’expérience et sans détourner l’énergie de son flux naturel.
Le sutra de Patanjali peut alors être compris comme :
Être établi dans la modération donne une bonne énergie de vie
Yoga Sutras II.38
Terminons cet article sur un aspect pratique. Comment intégrer Brahmacharya dans nos séances de Hatha Yoga ? Cela peut être par exemple de s’engager à 100% dans la pratique, d’y concentrer toute notre énergie pour la vivre pleinement. Il devient alors possible d’atteindre un état de grâce où le flux de vie circule en nous et nous recharge en énergie physique, vitale et spirituelle.
Loin de nous faire perdre de l’énergie et de créer de la fatigue, la pratique nous transporte et nous régénère.